Rinascimenti : sources, textes, arts et politiques en Italie


Le Rinascimento dei moderni accueille en son sein un très riche éventail d’expériences culturelles, qui peuvent être lues comme une réponse forte et lucide aux mutations entraînées en Italie par la crise des modèles politiques médiévaux et par l’avènement d’une nouvelle configuration territoriale, marquée par l’ouverture à une dimension supra-régionale, voire européenne — et même mondiale, à la suite des grandes découvertes géographiques. Depuis les derniers siècles du Moyen Âge, l’Italie fonctionne en effet comme un lieu de synthèse d’instances culturelles extra-péninsulaires et tout au moins jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle elle aura un rôle de premier plan dans l’impulsion de dynamiques nouvelles dans l’espace occidental.

Du point de vue culturel, le système de référence encore valable au Trecento se voit bouleversé. Le livre manuscrit cède progressivement sa place au produit d’imprimerie, jetant les bases d’une nouvelle culture textuelle et d’un rapport renouvelé entre texte et image ; la primauté du latin dans une grande variété d’usages savants et institutionnels – un nouveau latin, fruit d’une nouvelle conscience philologique souvent associée à une pleine maitrise de la langue grecque – n’empêche que la langue vulgaire s’affirme et devienne langue italienne ; la conception de l’activité artistique et la définition de ses enjeux connaissent des évolutions décisives, de même que le statut des artistes ; l’unité de la Chrétienté se fissure à la suite des hérésies, schismes et enfin du geste éclatant de Luther. Pour les besoins de sa reconquête et la réaffirmation de son autorité morale et politique, l’Église catholique recourt alors à une rhétorique de l’effet, mise en œuvre dans des formes artistiques souvent spectaculaires.

Dans un monde traversé par de si importantes mutations, les artistes, les lettrées et les lettrés, les musiciennes et les musiciens, les femmes et les hommes politiques italiens approfondissent leur connaissance de l’Antiquité, étudient les modèles fournis par la latinité, pour en créer de nouveaux, résolument modernes. Une véritable culture de la crise marque la naissance de la nouvelle ère, où la réflexion sur la tradition sert à appréhender un présent qui exige des formes de compréhension et des réponses inédites. Ces réponses sont plurielles et non univoques, la genèse de la Modernité étant multiforme et polycentrique.

C’est en pensant au caractère pluriel de cette grande saison culturelle que nous choisissons la formule Rinascimenti, pour désigner l’approche multifocale adoptée au sein de Transitions mise en œuvre dans les recherches menées autour de l’Italie. Au cœur de cette approche se trouve l’étude des sources textuelles et iconiques, du patrimoine architectural, des pratiques politiques et culturelles comme des savoirs (qu’ils soient théoriques ou techniques). L’interdisciplinarité est la clé de voûte permettant d’appréhender sans simplisme des phénomènes complexes, parfois même contradictoires, qui toutefois ont eu un rôle fondateur dans la culture occidentale.

Thématiques développées

La méthode que nous appelons de nos vœux se positionne à un carrefour disciplinaire entre histoire, histoire de l’art, philologie, histoire de la langue, de la littérature et de la musique. L’objet d’étude relève en effet d’une culture pré-moderne et humaniste, caractérisée par une transversalité spécifique et singulière et par un concept fort d’universalité lié à l’idée même d’homme.

Héritière d’une longue tradition liégeoise d’études portant sur l’Italie, l’unité de recherche Transitions développe actuellement plusieurs projets d’envergure qui abordent des questions et des problématiques variées. Sur le plan pédagogique et de la formation des étudiantes et étudiants et des jeunes chercheures et chercheurs, ces projets prennent la forme de travaux de master, d’études doctorales et post-doctorales, de conférences, séminaires et colloques ; ils ont donné et donnent lieu à de nombreuses publications, individuelles et collectives, sur support papier ou numérique.

Parmi les thématiques qui nous intéressent particulièrement :

  • L’auteur italien Francesco Guicciardini et son œuvre font l’objet de plusieurs projets de recherche. L’édition de sa correspondance est en train d’être publiée en plusieurs volumes à Liège, elle a donné lieu à d’importants travaux d’interprétation du langage politique de l’auteur. Divers projets digitaux sont en cours pour l’exploration des archives et la valorisation des documents autographes guichardiniens.
  • Les relations et les transferts culturels entre l’Italie et le Nord des Alpes sont un important sujet d’intérêt pour nos membres : la présence de Léonard de Vinci (et celle de ses œuvres) en France, l’expérience italienne d’artistes du Nord, tels Pierre Bruegel l’Ancien et Lambert Lombard, la réception de Vasari aux Pays-Bas, l’extraordinaire réception septentrionale des œuvres de Raphaël, la foisonnante élaboration du madrigal en musique dans les cours italiennes et dans les anciens Pays-Bas sont parmi nos thèmes privilégiés. Relèvent également de cette thématique l’étude des objets d’art et des collections royales, comme celle de Louise de Savoie, ou celle de grandes résidences aristocratiques, comme la Bâtie d’Urfé, où abondent les modèles issus de la Renaissance italienne.
  • Échanges entre femmes et hommes de lettres et artistes : au XVIe siècle, l’inclination de nombreux savants pour les arts et les ambitions intellectuelles croissantes de certains artistes donnent lieu à des interactions multiples et variées entre eux, et parfois à des formes de collaboration inédites.  C’est là un champ de recherche fondamentalement transdisciplinaire, qu’explorent plusieurs membres de Transitions, avec notamment des travaux sur Benedetto Varchi, Agnolo Bronzino, Giorgio Vasari, Erasme, Domenicus Lampsonius, Lambert Lombard.
  • L’épistolographie italienne, plus particulièrement celle qui se développe dans les réseaux artistiques de l’Italie centrale, est au centre du projet EpistolART. Le phénomène y est appréhendé tant dans ses aspects plus théoriques que dans des analyses plus pointues, portant sur des autrices et des auteurs singuliers comme sur des questions de langue ou des configurations textuelles, ainsi que sur les préoccupations artistiques dont les lettres sont l’expression.
  • Sur la ville de Rome et les États de l’Église, centre culturel et politique à la fois italien et cosmopolite, sont axées plusieurs de nos recherches relevant de l'histoire linguistique, de l’histoire littéraire et de l’art (avec celle des commandes artistiques), de l’histoire militaire, de l’histoire de la musique et de celle des symboles, à partir de l’image du Pape. Au cours de la Renaissance, Rome a édifié une immense infrastructure culturelle, au sein de laquelle les processus de représentation sont fondamentalement redéfinis – les églises nationales en sont l’une des expressions visibles aujourd’hui encore. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la Ville est aussi le théâtre d’une vaste émulation artistique entre les membres de prestigieuses familles aristocratiques telles que les Colonna, les Orsini, les Borghese, les Barberini, les Ottoboni et les Aldobrandini, misant sur l’art comme instrument politique.
  • La Renaissance en Italie hérite de l’idéal chevaleresque et lui donne un nouvel éclat sur le plan esthétique. L’idée de chevalerie configure aussi un puissant modèle moral et social, un véritable paradigme de conduite destiné à durer encore pendant des siècles. Ainsi, les poèmes en ottava rima comme l’Inamoramento de Orlando de Matteo Maria Boiardo et l’Orlando furioso de l’Arioste, constituent-ils certes un sommet de la littérature italienne et mondiale, mais aussi un moment de réactivation de l’utopie d’héroïsme et de perfection humaine directement puisée aux sources médiévales.
  • Des textes ou des traditions textuelles moins connus et qui ouvrent de nouveaux champs d’investigation et des secteurs jusqu’ici peu explorés du système culturel tels que le cycle de Guiron le Courtois avec sa circulation italienne, les Prophéties de Merlin du Pseudo-Richard d’Irlande, écrites par un franciscain vénitien, ou la Fiorita d’Armannino Giudice, attirent eux aussi l’attention de nos chercheures et chercheurs, puisqu’ils sont les témoins d’une culture foisonnante, qui ne se réduit pas aux grandes œuvres et aux auteurs « maggiori ».
  • Les collections artistiques de l’Université de Liège et en particulier le legs Wittert recèlent un fonds très riche de gravures et de dessins anciens italiens largement inédits, que le Wittert Project vise à recenser, identifier et cataloguer.

Collaborations internationales

L’axe Rinascimenti – dont le développement est singulier dans les universités belges – peut compter sur le réseau partenarial de Transitions, auquel s’ajoute un grand nombre de collaborations avec des Universités et des centres de recherche belges et internationaux de renom (Oxford, Tours, Rome, Utrecht, Florence, Lyon…), qui développent avec nous d’importants projets au niveau de la Province, de la Région, de l’Europe (Marie-Curie, ERC).

ERC

Marie Skłodowska-Curie Fellowship

  • Alessandro Aresti, The language of the arts in Italy between the Middle Ages and the Renaissance. The re-editing of documents from the Milanesi corpus and the compiling of a Dictionary of Historical-Artistic Italian (2018-2020)

Marie-Curie BEIPD-COFUND-IPD (ULiège)

  • Alessandro Aresti, La plume et le pinceau. Édition et analyse linguistique de lettres d’artistes italiens au Trecento et au Quattrocento (2015-2017)
  • Michela Berti, Le modèle musical des églises nationales à Rome à l’époque baroque (2013-2015)
  • Elena Bugini, La chapelle de la Bâtie d’Urfé (2016-2018)
  • Antonio Geremicca, Artistes, hommes de lettres et secrétaires ducaux à la cour de Côme Ier de Médicis (1537-1554) (2013-2015)
  • Gianluca Valenti, Les origines du lexique anatomique européen (2013-2015)
  • Marco Veneziale, Du « Guiron » de Turin à l’« Orlando Furioso » (2016-2018)

Valorisation et formation

Nous avons fait des Digital Humanities un point de force de notre travail collectif. Les produits de nos recherches sont partagés par des portails et des bases de données librement accessibles. Nous adhérons à la politique institutionnelle de l’Open Access quand cela est possible ; nous sommes soucieuses et soucieux de rendre disponibles nos travaux par des articles et des monographies publiés dans les revues et dans les maisons d’édition les plus prestigieuses, tant italiennes qu’internationales.

La formation des jeunes chercheures et chercheurs se fait par leur implication directe dans tous nos projets de recherche. Elles et ils prennent une part active à l’organisation de conférences, de colloques internationaux, de summer schools. Nombreuses et nombreux sont les doctorantes et doctorants et post-doc italiens et internationaux qui choisissent notre Unité de Recherche pour se former et pour construire au cours de leur séjour à Liège un réseau de contacts international.

Grâce à la collaboration avec des institutions culturelles nationales et internationales, comme la Società Dante Alighieri, nous sommes actives et actifs sur le plan de la vulgarisation, avec des interventions dans la presse écrite, audiovisuelle et radiophonique, des conférences et des interventions destinées à un public large, la conception et la programmation de concerts et d’enregistrements (cf. Les Nuits de Septembre, Musique en Wallonie), l’organisation d’expositions et de parcours muséaux, des participations à des films et web-documentaires (cf. « Sur les pas de Léonard », CESR/Intelligence des Patrimoines/CNRS Images/VLAM ! Production, 2018 https://renaissance-transmedia-lab.fr/).

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