Décès du professeur Franz Bierlaire



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Transitions a eu la douleur de perdre le professeur Franz Bierlaire ce 12 novembre 2023. Ce fin connaisseur d’Erasme fut pour nous un enseignant, un maître, un collègue, un ami. Il fut aussi l’un de ceux qui, en maintenant vive la recherche sur les thématiques et les périodes au cœur des travaux de nombre d’entre nous, ont offert le socle intellectuel et institutionnel indispensable à la naissance et au bon développement de notre Unité de Recherches. Son souvenir et son héritage scientifique seront entretenus au sein de Transitions.

Texte d'hommage, par Annick Delfosse

Quis dives ? Qui nil cupit. Quis pauperus ? Avarus. Qui est riche ? Celui qui ne désire rien. Qui est pauvre ? L’homme avide.

Une petite reproduction d’un tableau attribué à Jan van Scorel orne mon bureau. On y voit un jeune garçon, âgé de 12 ans, avec son béret rouge et son tablier noir, une plume à la main. Au bas du tableau, les mots latins que je viens de vous citer. Ils sont une référence directe aux intentions pédagogiques d’Érasme de Rotterdam et me rappellent chaque jour, quand je passe ma porte, de qui je suis l’élève et de qui j’ai hérité. Ce tableau, il était là, bien avant moi, quand ce bureau était celui Franz Bierlaire.

Né le 8 juillet 1944, Franz Bierlaire grandit dans le pays d’Entre-Sambre-et-Meuse, rassemblant au village de Gochenée les souvenirs d’une enfance qu’il aimait à partager. Venu étudier à l’Université de Liège, il fut l’élève de Léon-Ernest Halkin qui l’initia à l’histoire moderne et l’invita à suivre ses pas dans les études humanistes. Un mémoire sur la familia d’Érasme — que Vrin publia — fut suivi d’une thèse de doctorat consacrée aux colloques du Prince des humanistes et de toute une vie d’érasmologie passionnée. Dans sa production, on épinglera particulièrement son travail d’édition de sources érasmiennes dans les prestigieux Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami : il co-édita les Colloques avec L.-E. Halkin et R. Hoven (1972) puis le De Civilitate morum puerilium (2013), texte auquel il avait aussi consacré une traduction intégrale en 1999. Récemment, il y a à peine 2 ans, il avait publié à l’Académie Royale de Belgique un très bel Érasme au fil du temps, qui faisait — avec concision et intelligence — la synthèse de près de 60 années de fidélité érasmienne.

Les étudiants souriaient souvent, dans leur Chronique à Notger, de ce qu’ils croyaient être une monomanie. Ils oubliaient que derrière ce seul nom se déploie une pensée riche, complexe et multidisciplinaire que Franz Bierlaire n’a cessé de sonder. Au cours de ce long chemin avec Érasme, il a nourri comme celui-ci — et je cite les mots d’Érasme qu’il a mis en exergue dans son dernier livre — une « telle passion pour la littérature la plus parfaite qu’il considérait comme étant de sa plus proche famille tous ceux qui s’y adonneraient » (Érasme à Francis Vergara en 1527). Probablement doit-il aussi à cette intimité quotidienne avec Érasme, un intérêt en particulier : celui de l’enfance, et de l’éducation. La formation, l’enseignement, la transmission ont été au cœur des préoccupations de Franz Bierlaire. Professeur passionné, président de jury rigoureux et attentif, organisateur des conférences pour les « Facultés ouvertes », éditeur responsable des Cahiers de Clio, président de l’ED4, il a accordé à la formation des étudiants et des doctorants la plus grande des attentions. Son cours d’histoire de l’humanisme a marqué les esprits de celles et ceux qui l’ont suivi : il y était brillant, passionné et passionnant. Poussant l’exigence philologique et textuelle aussi loin que les humanistes qu’il chérissait, il a aussi enseigné la rigueur dans l’écriture, la justesse dans le choix des mots, le refus de l’à-peu-près, le souci du détail et de la perfection.

On se souviendra également de ses qualités de coordination et d’administration. On lui doit d’avoir œuvré au transfert des filières d’histoire et d’histoire de l’art, archéologie et musicologie au sein du bâtiment A4, quai Roosevelt, et, surtout — l’affaire n’était pas mince — d’avoir travaillé au rapprochement de ces filières au sein d’un même département, qu’il a présidé pendant de nombreuses années, en tentant vaille que vaille d’affronter la houle.

Franz Bierlaire pouvait dire, peut-être mieux que beaucoup d’autres, combien il faut de temps, de courage et d’opiniâtreté pour laisser à notre beau mais parfois difficile métier la possibilité de s’épanouir. Mauvais démons et vents contraires surgissent sur la route et forment des obstacles qui invitent au renoncement. Franz Bierlaire pouvait être fier de n’avoir jamais déposé les armes. Il a su affronter les tempêtes et donner, au bon moment, l’impulsion nécessaire pour déjouer les pièges.

Les souvenirs que chacun aura nourris de lui au fil des années seront assurément multiples. Mais les plus jeunes retiendront un homme toujours d’une mise élégante, espiègle, gentiment taquin, attentif aux uns et aux autres… et régulièrement présent — jusqu’il y a à peine quelques semaines — dans nos couloirs, nos bibliothèques et aux conférences de l’U. R. Transitions, qu’il avait contribué à porter sur les fonts baptismaux. Ils se souviendront probablement aussi qu’il ne se déplaçait jamais sans son vélo. Il fallait être original, il y a 25 ans, pour venir travailler en pédalant. Ce vélo, il ne l’avait jamais quitté. Chaque jour de sa vie, il l’a enfourché, fuyant ses démons et allant de l’avant. Sur son vélo, il a apprivoisé la solitude, appris la pugnacité et montré son immense courage, notamment face à la maladie. Probablement ne désirait-il finalement rien d’autre que la liberté qu’il lui offrait ?

Franz Bierlaire est décédé ce 12 novembre 2023.

Quis dives ? Qui nil cupit.

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