Décès du professeur Pierre Colman



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euls les aînés parmi nous ont bien connu Pierre Colman. En 2021, il avait fêté le quart de siècle écoulé depuis son accession à l’éméritat en 1996.

Pierre Colman a dédié toute sa vie à l’art et à son histoire. Après des débuts à l’Institut royal du Patrimoine artistique à Bruxelles en 1954, il a poursuivi sa carrière dans notre Alma Mater à partir de 1960. Il y devint professeur associé en 1974, puis professeur ordinaire en 1976. Titulaire de la chaire d’Histoire de l’Art des Temps modernes, il y adjoignit la Technologie des arts plastiques, c’est-à-dire l’étude des modalités pratiques et concrètes de la création artistique. C’était là une démarche pionnière, dont l’intérêt n’est apparu que bien plus tard - des décennies plus tard -, quand s’est imposé le materiality turn.

En avance sur son temps, Pierre Colman le fut aussi par son choix de se spécialiser dans l’étude de l’orfèvrerie, un art que beaucoup qualifiaient encore de mineur à l’époque. Pendant près de quarante années, il consacra ses recherches aux orfèvres qui assurèrent le renom artistique de Liège sous l’Ancien Régime. Il fut dans ce domaine un éminent expert, dont les travaux continuent de faire autorité aujourd’hui.

La carrière de Pierre Colman a été ponctuée de reconnaissances et de titres, parmi lesquels on retiendra ceux de correspondant de l’Académie royale de Belgique en 1975, élu membre titulaire en 1976, président de l’Académie et directeur de la classe des Beaux-Arts en 1995. Il était aussi membre titulaire de l’Académie royale d’Archéologie de Belgique. Il fut honoré d’une chaire Francqui à la VUB en 1990.

Ardent défenseur de notre patrimoine artistique, Pierre Colman a œuvré sans relâche pour en favoriser une meilleure connaissance et en assurer la sauvegarde. Il fut pendant 25 ans membre de la Commission royale des monuments, sites et fouilles. Il fut aussi administrateur, puis président de 2003 à 2006, du prestigieux Centre d’étude des Primitifs flamands.

Au sein de notre institution, il endossa de nombreuses responsabilités, dans la filière d’Histoire de l’Art et Archéologie bien sûr, mais aussi au Département des Sciences historiques, à la création duquel il contribua et qu’il présida en 1990.

Pierre Colman a marqué des générations d’étudiants par son très haut niveau d’exigence. Lui-même impressionnait par l’ampleur et la précision de son savoir. Par son éloquence également : sa présence garantissait le succès d’un débat, qu’il animait de ses interventions volontiers piquantes et provocatrices. Doté d’un fort penchant pour la controverse, il s’y montrait d’une habileté redoutable.

Mais sous des dehors passablement intimidants, il cachait une sensibilité exacerbée. Ses élèves se rappellent l’avoir vu verser des larmes en écoutant Der Erlkönig et Die Winterreise. Il aimait la musique, l’opéra, la littérature, la bande dessinée. Et par-dessus tout, cet homme de grande culture aimait la nature. Rien ne le réjouissait autant qu’une promenade en forêt.

Au cours de ces derniers mois, son goût de la vie s’est étiolé. Les nouvelles du monde, l’état de la planète, la folie des humains l’ont plongé dans le désespoir. Dans le dernier message qu’il m’a adressé, quelques jours avant sa mort, il citait Léon-Ernest Halkin, auquel il vouait une vive admiration : « Mieux on connaît l’Histoire, moins on est fier d’être Homme ». Il avait hâte, disait-il, de quitter cette « vallée de larmes ».

Un jour vient que le temps ne passe plus
Il se met au travers de notre gorge
On croirait avaler du plomb… (Aragon)

Au soir si sombre de sa très longue vie — il avait 92 ans —, Pierre Colman a tiré sa révérence. Il l’a fait discrètement, mais avec détermination, en recommandant à ses proches, disciples et amis, de porter son deuil la tête haute.

 

Dominique Allart

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